à quoi bon ?

Comme vous l’avez noté sans doute, les membres du groupe d’electro-rock Shaka Ponk ont été élevés récemment à la dignité de chevaliers des Arts et des Lettres. Durant ce bal costumé cette cérémonie officielle, la chanteuse arborait fièrement un noir T-Shirt proclamant en anglais et en blanc combien ils n’en avaient rien à faire (« we don't give a fuck »).


Belle mise en abîme tout de même, recevoir les honneurs républicains tout en manifestant si clairement que l’on s’en tamponne le coquillard, mais tout en les recevant quand même, mais tout en… Si XXIè siècle : vivre au sein d'institutions du sens, de représentations collectives (c'est à dire de concepts, de règles, d'usages qui constituent les prémisses et les conditions de possibilité de la formation des intentions individuelles) tout en les déconstruisant, n'est-ce pas ce que font tant de nos bien-pensants ?

Tout est socialement construit donc déconstructible, plus besoin de s’encombrer de scrupules, de respect, de politesse. Alors, au hasard, le savoir vivre, l’entreprise, la République ou le mariage…  « we don’t give a fuck » diront ceux qui ont tout compris.

Seuls résistent à toute déconstruction : la force nue, l’intérêt égoïste, le plaisir fugace. Et surtout l’argent ; vainqueur silencieux.
  
Mais une fois toute institution, toute représentation démontées, sur quoi fonder le vivre ensemble ? Même Jean-Luc Nancy, l’un des penseurs de la déconstruction avec Jacques Derrida, s’interroge dans Esprit sur l’impossibilité de structurer une société sans la croyance en des représentations partagées...

Que partageons-nous aujourd’hui ? 

Le démon de mon cœur s’appelle à quoi bon, écrivait Georges Bernanos en exergue des Grands cimetières sous la lune. Résistons-lui.

au cœur des ténèbres

Nous voici dans l’abîme,
Tu en restes l’énigme.

Si Tu dis un seul mot,
Et nous serons sauvés.

Tu restes muet encore,
Jusqu’au bout sembles sourd.

Nos cœurs ont trop durci,
En nous l’horreur sans fond.

Viendrait-elle de nous
Une lueur de douceur ?

Si nous disons un mot,
Et Tu seras sauvé.

Nous restons muets encore,
Jusqu’au bout restons sourds.

Te voici dans l’abîme,
Nous en sommes l’énigme.


François Cheng, « Vraie Lumière née de vraie Nuit », Editions du Cerf, 2009