révolution...



Olivier Rolin, Tigre en papier, Le Seuil 2002. En bref et selon la quatrième de couverture, « c'est l'histoire d'un type qui raconte à la fille de son meilleur ami, mort depuis longtemps, ce que fut leur jeunesse à l'époque presque fabuleuse - la fin des années 60 - où l'on croyait dur comme fer à la Révolution. » Extrait :

« Ce que je crois, c’est qu’on à été la dernière génération à rêver d’héroïsme. Maintenant ça paraît ridicule, ça vous paraît bon pour des cloches, et à vrai dire vous ne voyez même plus ce que ça veut dire, je sais. Mais le monde n’a pas toujours été, si ennemi du romantique. Le monde n’a pas toujours été si cynique, si malin. Si averti, ricaneur, « on ne me la fait pas »… 

Auparavant, les jeunes gens avaient volontiers ce genre d’imagination. Il fallait que la vie soit épique, sinon à quoi bon ? II fallait côtoyer les gouffres, affronter le mystère. C’est un vieux désir humain, il y a tout un tas de mythes et de poèmes qui racontent ça. Se mesurer aux dieux, aux monstres, découvrir des terres insoupçonnées, explorer cette région inconnue qu’on est soi-même devant la mort. L’Iliade et L’Odyssée, quoi. Depuis deux mille ans, pas mal de jeunes gens ont rêvé d’être Achille, ou Hector ; ou Ulysse.

Et contrairement à ce qu’on croit à présent ce désir pouvait très bien se conjuguer avec celui d’écrire, de penser. Même, il arrivait que l’un aille difficilement sans l’autre. Il y avait une commune racine de rejet de la monotonie. Il y a eu des poètes, des romanciers, des philosophes soldats, agents secrets, et ça n’était pas les plus minables, tu sais. Sans remonter jusqu’à Cervantes et Camões, Faulkner qui n’était quand même pas, parmi les écrivains du siècle, le plus ballot, le moins profond, Faulkner a été terriblement déçu que l’armistice de novembre 1918 l’empêche d’aller faire le moderne chevalier dans les ciels d’Europe. C’est comme ça. Et Hemingway, plus rapide, avait filé sans hésiter vers les champs de bataille. Cendrars n’est plus très à la mode, ça n’empêche qu’il a inventé la poésie française moderne avec Apollinaire, et il était légionnaire, engagé volontaire. Et Apollinaire, on pourrait en parler aussi... Je sais que vous êtes tous pacifistes, à présent. Et moi aussi, si tu veux que je te dise que c’est plus agréable de vivre en paix. Et eux aussi, ceux qui ont connu la guerre et qui y ont survécu, ils le disent. 

Mais voilà, on n’écrit pas avec ce qui est agréable, on ne pense pas avec ça. On écrit, on pense avec ce qui blesse, ce qui tue. Et même c’est avec ça qu’on vit vraiment. Pas avec le « principe de précaution ». Ecrire (ou peindre, etc.) n’est pas intrinsèquement philanthropique. Progressiste, encore moins. Un grand écrivain vert, tiens, j’aimerais voir ça. Et même un grand peintre. 

Bon, alors la Révolution ça a été la dernière épopée occidentale, après quoi tout le monde est allé se coucher. La Révolution, à présent, c’est devenu un gadget, une pacotille bourgeoise. Une fanfreluche. Regarde, écoute, lis autour de toi, Marie : nos élites se disent toutes « révolutionnaires », à présent. Je parle de la bourgeoisie moderne, celle qui fabrique des images, des histoires, pas les attardés qui s’obstinent à fabriquer des rails ou des tôles, bien sûr. Je parle des vrais maîtres, ceux que ma génération a inventés, hélas. La Révolution, c’est devenu leur décor, leurs beaux atours. La bourgeoisie moderne est « révolutionnaire », elle a inventé ce formidable trompe-l’oeil pour dissimuler ses privilèges. »

Aujourd'hui en 2013, la bourgeoisie moderne est toujours là, encore plus 'révolutionnaire' et 'progressiste', régnant sur nos idées, nos récits ; nous voulant dociles et consommant... Mais aujourd'hui, une génération rêve à nouveau d'héroïsme, devant la force cynique et brutale dont use ce 'système' établi ; force policière, politique, médiatique, idéologique... Un héroïsme confronté à la violence du pouvoir mais qui se refuse à la reproduire dans un mimétisme mortifère. Un héroïsme de la non-violence

oraison pour un Catholog


Mars, avril, mai… lourd climat à Paris, crachin, frimas … mais aussi la loi Taubira sur l’union plus l’adoption pour tous… opposition, manifs, divisions (y compris cathos)… Abus du pouvoir surtout : minimisation à tout prix, disqualification à tout va, flics incivils, nuits au commissariat sans vrai motif (ou 'gnouf pour tous' ?)…

Stop. Juin pointant son tarin, faisons fi pour aujourd’hui du froid ou du conflit, mais jouons. Jouons donc un instant via un oisif, amusant, stimulant pari qu’on proposa (là-bas) il y a cinq ou six jours : discourir du Catholog (forts bons films, à voir illico s'ils vous sont inconnus) mais suivant un strict canon lipo-grammatical… dont nous tairons ici l’omission, vous laissant saisir sa solution.

Bon, foin d’introduction, voici infra ma micro-production.

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« La saison Un du Catholog a pris fin. Amis, chantons ici son oraison. Hardi, allons-y : applaudissons, acclamons, ovationnons.

Bravo à GRom, roi du T-Shirt (« a T-shirt, a T-shirt, my kingdom for a funny T-shirt! » aurait-il un jour sorti [1]). Un gars qui y va, à l’instinct : parfois balourd, jamais banal, toujours rigolo. 

Bravo à Chlo, miss au piquant mais charmant discours (ainsi qu’au joli minois), illuminant tout film. 

Bravo aux colocs. L’un quasi-saint mais surtout hors-champ (car soi-disant craintif), voix invoquant sans fin la raison. L’un passant par instants au living room, surgissant au motif d’un bon gag. 

Bravo aussi au scriptor, un sir dit « Prochain », scribouillard au grand art, promis à coup sûr à un fort brillant futur. 

Bravo à Hub von Torcy, bravo à chacun, bravo à tous !

Pour d’aucuns, il manqua du fond au Catholog. Faux, trois fois faux ! Il montra, transmit au public non point l’amour du Christ, mais son humour. Humour divin sur nos us (tant gallicans qu’ultramontains), doux humour du Logos, lui qui pour nous s’incarna.

Catho, crois au Christ pour sûr, mais souris aussi ; souris sur toi, toujours. Car sinon, sans un brin d’humour sur soi, pourrons-nous accomplir un vrai « ut unum sint » [2] ? Alors oui bravo, viva Catholog ! »
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Concluons par un pardon. Pardon pour mon oraison à trois sous, mon propos mal fichu, bancal, biscornu, mon bafouillis languissant dans un si dur carcan, manquant d’un signifiant pourtant fort commun mais ici proscrit, d’un anodin « rond pas tout à fait clos finissant par un trait horizontal » [3]… Car tout mot fut contraint par la loi d’airain qu’un Hugo promulgua (soupir).

[1] la jouant ainsi à la Richard III à son insu
[2] c.à.d. qu’on soit tous un à l’instar du Christ + son papa (cf. Jn 17, 21)
[3] G.P., La Disparition (1969), Gallimard, Paris, avril 1989

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And now, it’s up to you! (mais motus sur la solution)

1994 - 2010 : mon chemin avec l'Eglise





J'exhume ce texte écrit en 2010. Les événements m'avaient alors questionné sur la relation entre mes convictions et celles proposées par l'Eglise ; et aussi sur l'unité entre les catholiques. Cela pourra peut-être faire écho à des interrogations actuelles ?

1994 - 18 ans. Je trouve l’Eglise dépassée. Je pense comme tout le monde. Préservatif, avortement, pourquoi pas si cela répond à un besoin. L’interdit ne me parle pas. 

1996 - 20 ans. Rencontre personnelle du Christ, dans l’Ecriture, dans la prière, dans la liturgie. Expérience de la communion fraternelle en Christ. La dimension institutionnelle de l’Eglise devient seconde pour moi. 

1998 - 22 ans. Je me rends compte de la diversité des catholiques, entre un groupe d’aumônerie plus rationnel et un groupe de prière plus fidéiste, mais dans une communion plus profonde. A coté, la vie en école d'ingénieur me semble fade. 

2001 - 25 ans. Découverte de l’histoire récente de l’Eglise. Vatican II, l’action catholique, les chrétiens de gauche ; Humane Vitae aussi. Entre amis, nous débattons des heures. Je regimbe face à la sécheresse et à la généralité du dogme. Mais l’enfouissement dans le monde n’est pas une alternative. La transmission ne se fait pas en dehors d’une institution. Je lis David Lodge sur le destin de catholiques anglais pour une Eglise libérale dans les années 1970. Illusion qui finit en mascarade. Je suis sensible au discours pastoral sur le pape qui montre le sommet de la montagne, que l’on peut atteindre par de multiples chemins - chacun part de là où il en est et avance à son rythme, l’essentiel étant au fond moins d’atteindre le sommet que de marcher vers lui. 

 2004 - 28 ans. Je commence à me sentir autant membre de l’Eglise universelle que de l’Eglise de France - ouverte, façonnée par la laïcité... et qui me ressemble plus. Je me demande si les a priori contre l’Eglise ne reflètent pas surtout les failles de notre société. Par exemple, si le discours de l’Eglise sur la sexualité est stigmatisé, n'est-ce pas car notre époque la survalorise ? 

2006 - 30 ans. J’ai l’impression que dans mes lieux catholiques, beaucoup de 30-40 ans sont politiquement conservateurs. Renseignements pris ce n’est pas étonnant : de 2002 à 2010, selon les sondages sortie des urnes, entre 75 et 80% des catholiques pratiquants réguliers ont voté avec constance à droite (dont 5 à 15% à l’extrême droite). Alors, comme les chrétiens de gauche sont en plus surreprésentés dans la génération du baby boom… cela n’en laisse statistiquement plus beaucoup chez les 30-40 ans. Bon, à vrai dire, cela fait longtemps que je ne me sens plus vraiment « de gauche ». Mais je place toujours la liberté au dessus de l’obéissance. Au fil des discussions, vient le sentiment d’avoir cheminé vers l’acceptation de l’obéissance, comme membre de l’Eglise universelle, et d’être souvent avec des catholiques qui semblent considérer cette obéissance comme allant de soi. 

2009 - 33 ans. Inquiétude. Discours réaffirmant le dogme. Retour du rite extraordinaire. Ouverture vers les lefèbvristes. Les catholiques intransigeants semblent avoir le vent en poupe, spécialement dans ma génération. J’entends crier victoire et je me cabre. Je les entends diviser l’Eglise en « nous » et en « vous ». Vous les chrétiens ouverts sur le monde, vous les évêques de France trop progressistes, vous les perdants. Vous avez failli. La barque du Christ prend l’eau. Par votre faute. Je vois revenir l'éternel projet du traditionalisme : séparer et restaurer. Séparer le pur de l’impur, le bon grain de l’ivraie. Restaurer avec faste un passé mythifié.

Inquiétude. Les vrais catholiques devraient-ils donc s’ériger en contre-société ? Rester entre soi et défendre bec et ongle leurs principes et leur vision de l’homme, se percevoir en forteresse assiégée par la modernité ? Le « je crois l’Eglise » de notre credo baptismal implique t’il un « j’adhère à toutes les vérités énoncées par le magistère », voire même plus concrètement un « je ne voterai pas pour un parti politique favorable à la dépénalisation de l’avortement, à la reconnaissance civile des unions de personnes de même sexe, etc.» ? Le champ des convictions politiques catholico-compatibles se réduit considérablement... Peut-on encore être catholique et politiquement social-démocrate, ou libéral ? La foi catholique reste-t-elle compatible avec une ouverture au monde et aux hommes de notre temps ? En acceptant jusqu’au bout la liberté d’autrui ?

Inquiétude. Le pape ne montrerait plus le sommet de la montagne, mais énoncerait les vérités auxquelles tout catholique se doit d’adhérer, ainsi d’ailleurs que toute personne de bonne volonté qui écoute vraiment sa conscience, au cœur de laquelle est gravée la loi naturelle dont l’Eglise n’est que l’humble interprète… Mais je perçois les vérités anthropologiques de l’Eglise dans le registre du bon, du désirable, et non de l’obligatoire. Des boussoles vers une vie bonne avec et pour les autres, vers des institutions justes. Des boussoles qui indiquent à chacun la direction du bonheur, et non un chemin déjà balisé, le même pour tous. Suis-je dans l’erreur ? Faudra-t-il me résigner à devenir d’ici quelques années minoritaire parmi une minorité ?  

2010 - 34 ans. Perplexité. Ne suis-je pas aussi dans l’idéologie, dans le « nous » et le « vous » ? Ces chrétiens intransigeants ne sont-ils pas mes frères en Christ ? On ne choisit pas sa famille ; ne peut-on s’appuyer ce qui nous réunit ? La frustration que l’Eglise s’éloigne du monde et celle que le monde s’éloigne de l’Eglise n’ont-elles pas en commun un même désir que Christ soit tout et en tous ? Car au-delà des sensibilités spirituelles ou des options pastorales qui divergent, nous avons tous je crois la même faim : Que Dieu saisisse l'univers entier, ce qui est au ciel et ce qui est sur la terre, en réunissant tout sous un seul chef, le Christ [1]. Et que l’Eglise soit, dès à présent, germe de ce Royaume. Les moyens, les sensibilités spirituelles, les options pastorales divergent, mais peut-on s’accorder sur quelques points pour avancer côte à côte, si ce n’est ensemble ? 

L'affaiblissement de l’Eglise en France n’est la faute de personne. Non, ce ne sont pas les durcissements romains qui ont fait fuir la masse des hommes de bonne volonté attirés par un catholicisme hors les murs. Notre Royaume n’est hélas pas de ce monde. Après les vivats de la foule aux Rameaux viennent ses lazzis le Vendredi Saint. Et non, ce ne sont pas les désordres post-conciliaires qui ont fait fuir la masse des brebis déboussolées, alors qu'elles auraient docilement écouté la voix d’un catholicisme intransigeant. La sécularisation, l’exculturation du catholicisme occidental résultent d’une transformation de grande ampleur des conditions de vie et des modes de pensée. Quoi de commun entre un paysan français du XIXè siècle et un périurbain d’aujourd’hui ? Par quel miracle leur vie spirituelle seule aurait-elle pu rester inchangée ? Comme les barbares détruisant la Rome chrétienne, la sécularisation est un événement historique, qui s'impose à nous. La victoire ne nous a pas échappée par inadvertance ! 

Alors, n’oublions pas que tout royaume divisé va à sa ruine, ses maisons s'effondrent les unes contre les autres. Rien ne sert d'opposer le pape aux évêques, la base au sommet, le pastoral au dogmatique. Les grandes organisations humaines sont toutes composées de dirigeants qui les orientent, de lignes hiérarchiques qui s'adaptent à la réalité du terrain et la font remonter, de normes et de méthodes pour assurer la cohérence de l’ensemble. Chaque rôle est important pour que l'organisation vive et demeure. Et l’unité n’est pas l’uniformité. Dans nos sociétés imprévisibles, les organisations humaines ne fonctionnent pas simplement à l’obéissance, mais dans une perpétuelle dialectique entre obéissance et autonomie, exécution et initiative. Dialectique subtile et épuisante car jamais fixée, toujours à ajuster au fil des désaccords. 

Il faut donc accepter non seulement qu'il y ait au sein de l'Eglise des convictions divergentes, mais qu’il est bon qu’il en soit ainsi [2]. Que serait une communauté humaine sans tensions ? Une communauté morte. Au sens d'une langue morte, c'est-à-dire non pas une langue qui n'existe plus – on peut lire, écrire, voire parler en latin – ni qui n'a plus rien à apporter – l'étude du latin ou du grec est très instructive – mais qui n'évolue plus, n'est plus animée. Exit donc l'illusion de pouvoir construire un couple, une famille, une paroisse, une Eglise d’où les divergences auraient disparues. L'unité reste une mission et une promesse ; communion vécue en particulier dans nos eucharisties, anticipation du Royaume où nos divisions disparaîtront car nous serons tous et chacun pleinement configurés au Christ, en qui nos divisions ne seront non pas tranchées mais dépassées. En attendant, l'essentiel pour que la vie circule est peut-être que ces divergences puissent légitimement s'exprimer et être entendues. Pour qu'elles ne deviennent pas des antagonismes irréductibles, des factions rivales. Et pour pouvoir ensuite les relativiser. Prendre conscience de leur peu de poids devant la Croix et de leur pesanteur devant simplicité de la Grâce. Et enfin peut-être réussir à les réduire, comme on réduit une fracture en réalignant les os afin qu’ils se ressoudent seuls. L’expression, la relativisation, et la réduction des divergences en Eglise font peut-être partie de sa mission même, elle qui se veut signe et instrument de l'union des hommes avec Dieu et de l'unité d’un genre humain pluriel et divisé ?

Bien sûr, nos convictions ne méritent sûrement un dialogue en Eglise que si elles sont sincères, et non un camouflage plus ou moins conscient de motivations personnelles ou claniques. Si elles sont un moyen propre à chacun d’œuvrer pour le Christ et pour les hommes [3], et non un moyen de se mettre en valeur, de se croire juste. Si elles s’expriment avec douceur, respect, espérance, jamais avec violence. 

Alors que faire à mon petit niveau ? Ne pas absolutiser mes façons de penser et d’agir. Puis peut-être essayer de suivre ce triple mouvement : exprimer ce que je crois vrai sans craindre la dissonance ; garder les divergences à une juste proportion, face à la grandeur de ce qui nous unit ; participer comme cellule du corps à la réduction des fractures, en pratiquant non pas une simple tolérance, mais une hospitalité des convictions différentes. Les inviter en moi et échanger avec elles. Eprouver ainsi de l’intérieur les tiraillements du corps entier. 

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[1] Cf. Eph 1, 10
[2] Au temps de Paul, les chrétiens se querellaient sur le respect de pratiques issues du judaïsme et se jugeait les uns les autres. Paul invitait chacun à agir sincèrement selon ses convictions, sans pour autant juger ni provoquer son frère : « Que chacun soit pleinement convaincu de son point de vue. Celui qui se préoccupe des jours le fait pour le Seigneur, et celui qui mange de tout le fait pour le Seigneur, car il rend grâce à Dieu ; et celui qui ne mange pas de tout le fait pour le Seigneur : il rend grâce à Dieu aussi. » (Rm 14, 5-6)
[3] Cf Mt 25, 40 : Et le Roi leur répondra : 'Amen, je vous le dis : chaque fois que vous l'avez fait à l'un de ces petits qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait.' 

sos débat



Le mariage dit pour tous sème la division. Dans la société française, dans nos communautés chrétiennes aussi. Pourquoi ?

Peut-être le débat n’est-il pas politique, mais pré-politique...[1] Il touche à l’intime, à l’identité sexuée, à la filiation, au vivre ensemble. Derrière les arguments échangés se cachent des dogmes, des axiomes qui ne sont pas démontrables rationnellement mais structurent pourtant toute notre pensée. L’égalité est un tel dogme, défiant les évidentes inégalités de force, de beauté, d’intelligence et de capacités en tout genre [2]. Les structures de parenté et de filiation en sont un autre. Tous deux sont chers à nos cœurs.

Car au fond ce sont nos cœurs qui parlent. Ainsi des personnes viscéralement à gauche – et pas des caïmans – avouent en fin de soirée, presque honteusement : « Le mariage gay, je devrais être pour. Les droits des homos, c’est important… Mais je n’y arrive pas. J’ai l’impression que tout fout le camp. »

Pour que chacun puisse s’écouter et grandir, il aurait fallu mobiliser des «institution du consensus» [3] permettant de dégager un intérêt général partagé (commission indépendante, comité d’éthique, états généraux participatifs, etc.). Et non l’ «institution du conflit» qu’est le Parlement. Les députés PS, PRG et EELV semblent hélas n’avoir cure de ces «institutions du consensus» (voir également leur passage en force pour modifier la loi résultant des états généraux de la bioéthique). Ils semblent vouloir émanciper la société contre son gré, depuis leur position de surplomb – celle de ceux qui savent déjà tout sur tout. Pas besoin d’écouter ceux qui pensent différemment, ce ne sont que des conservateurs, des fascistes peut-être. Pourquoi donc rechercher le consensus et l’intérêt général ? Seul compte l’avis du plus fort politiquement («c’est le point de vue marxiste de la loi », revendique le sénateur Jean-Pierre Michel, rapporteur du projet de loi). L’adversaire, ce réactionnaire ne peut pas être écouté ; il doit être combattu. Quitte à fragiliser la volonté de vivre ensemble dans un monde commun, la reconnaissance de valeurs partagées qui permettent aux conflits de ne pas monter aux extrêmes de la guerre civile [3].


La majorité présidentielle a choisi la voie du conflit et de la force – politique, médiatique, policière. Les catholiques peuvent faire mieux, et même le doivent [4] ! En ce temps de Pâques, puissions-nous nous accueillir les uns les autres avec nos convictions différentes. Nos évêques ont attiré notre attention sur un projet de loi qu’ils jugeaient mauvais, nous expliquant leurs motivations chacun avec sa sensibilité propre, nous incitant à réfléchir, à nous positionner. Ils ne nous ont pas demandé de leur obéir. Ils n’ont pas déclaré que ceux qui pensaient différemment pensaient mal, et heureusement ! Chaque catholique pratiquant a sans doute maintenant choisi son camp, dans ce conflit imposé. En conscience. Et chacun a bougé je crois dans cet épisode. Pour reconnaître le désir homosexuel comme une réalité ; et qui n’est pas en soi mauvaise. Reconnaître l’engagement fidèle entre deux personnes de même sexe comme plus humanisant que des aventures sans lendemain. Reconnaître que la place dans l’Eglise de ceux qui font ce choix pose question. Mais reconnaître aussi que la filiation et l’identité sexuelle touchent les fondements de notre vivre ensemble. Reconnaître que si tout est scientifiquement possible, tout n’est pas nécessairement bon et profitable. Reconnaître que dans le techno-monde qui vient, la procréation sera chamboulée si nous n’en prenons soin. Aujourd’hui, l’heure n’est plus je crois au débat, tout a déjà été dit. Que chacun agisse selon sa conscience, que chacun respecte celle d’autrui.

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[1] Même si beaucoup ont intérêt à le politiser. La gauche pour remobiliser ses troupes déroutées par la politique économique - et maintenant les turpitudes de certains de ses dirigeants - autour d’un ennemi commun : les «homophobes». La droite pour faire oublier ses luttes de pouvoir fratricides et gagner les déçus du hollandisme. L’extrême droite catholique, dont la capacité de mobilisation ne dépasse guère les 30 000 personnes, pour en rallier 1 370 000 autres à ses rêves de grand soir...
[2] cf Alain Supiot, « L’internationalisation du droit : dégradation ou recomposition ? », Esprit, Novembre 2012.
[3] cf Pierre Rosanvallon, « La légitimité démocratique. Impartialité, réflexivité, proximité », éditions du Seuil, Paris, 2008.
[4] Après tout, n’ont-ils pas vocation à être en Eglise, dans le Christ, en quelque sorte le signe et le moyen de l’unité de tout le genre humain ?

lettre à mon président



Monsieur le Président de la République, 

Le 6 mai 2012 comme des millions de français, je vous ai apporté mon suffrage. Convaincu non par telle ou telle mesure, mais par votre projet de présider autrement : « Présider la République, c'est préserver l'Etat, sa neutralité, son intégrité, face aux puissances d'argent, face aux clientèles, face au communautarisme (…) Présider la République, c'est refuser que tout procède d'un seul homme, d'un seul raisonnement, d'un seul parti, qui risque d'ailleurs de devenir un clan (…) C'est faire participer les citoyens aux grands débats qui les concernent (…) Présider la République, c'est rassembler, c'est réconcilier, c'est unir, sans jamais rien perdre de la direction à suivre. C'est écarter la stigmatisation, la division, la suspicion, les oppositions entre Français (…) Présider la République, c'est élever et ne jamais abaisser. » 

Aujourd’hui, je ne reconnais plus ce grand et beau projet dans la « réforme de civilisation » (comme présentée par Madame Christiane Taubira) menée par votre gouvernement sur le mariage pour les couples de même sexe. 

« Refuser le communautarisme » : pourquoi donc une loi qui ne vise qu’une communauté militante, pourquoi ne pas prendre le temps d’élaborer des solutions plus consensuelles (statut du beau-parent, adoption simple…) pour résoudre les questions concrètes qui se posent d'une façon universaliste et républicaine ? 

« Refuser que tout procède d’un seul raisonnement, d’un seul parti, d’un seul clan » : pourquoi se faire sourd aux légitimes inquiétudes qui s’expriment en se contentant de les taxer d’homophobes, pourquoi sur un sujet de société aussi fondamental chercher le clivage politicien plutôt que le compromis exigeant qui est la marque des bonnes réformes ? 

« Faire participer les citoyens aux grands débats qui les concernent » : pourquoi ne pas lancer des états généraux de la famille et de la filiation où les français pourraient s'écouter et réfléchir ensemble, pourquoi refuser de prendre en compte la demande écrite d’un lieu de débat indépendant formulée par plus de 700 000 citoyens, en seulement une quinzaine de jours et sans relais médiatique ? 

« Rassembler, réconcilier, unir » : pourquoi diviser le peuple de France au moment où le rassemblement devant les sacrifices nécessaires devient si important ? 

« Ecarter la stigmatisation, la division, les oppositions entre Français » : pourquoi sembler n’écouter la voix que de certains, pourquoi vous empresser de recevoir une organisation qui ne représente que quelques milliers de militants et répondre aussitôt à ses revendications, pourquoi enfin ne pas chercher coûte que coûte à rassembler la nation sur un sujet aussi socialement essentiel que la famille et la filiation ? 

« Elever et ne jamais abaisser » : n’est-ce pas la voie à suivre, en ne rabaissant pas l’opposition apolitique à ce projet, en vous élevant au-dessus des revendications partisanes et libertaires ? 

Dans l’espoir que les principes mis en avant lors de votre discours du Bourget en janvier 2012 soient toujours ceux qui guident votre action, je vous prie d'agréer, Monsieur le Président, l’assurance de ma très haute considération.

du sacrifice à la Croix





Cher Pneumatis, 

Merci pour ces beaux billets (ici et ). Je suis rejoint par la façon dont tu mets le sacrifice du désir au cœur de l’ethos chrétien des relations conjugales et filiales. Et cela me rappelle la ‘colossale disputatio’ lancée dans la torpeur d’une fin d’été ensoleillée par René Poujol

A toi je peux l’avouer, j’ai du mal avec la théologie du corps. Au début, ça a l’air super. Que du bonheur ! L’homme et la femme sont faits pour le bonheur. Ensemble, ils sont image de Dieu dans leur union conjugale et dans leurs relations sexuelles d’amour ; image du Dieu trinité en qui la circulation de l’amour est continue et parfaite. Waouh, génial ! Jamais je n’aurais osé espérer une vocation aussi grandiose. Bien sûr, il y a des conséquences fortes. En aucun cas ne vouloir posséder son conjoint, tout comme il n’y a pas de possession en Dieu. Renoncer à ce « regarder pour désirer » dont parle le Christ. Bon, là je tique un peu mais ça passe, je me dis « oui, c’est juste et bon ». 

Et puis, à la fin – il faut avoir lu tout le reste d’abord est-il bien précisé, cette fin n’étant intelligible qu’à la lumière de ce magnifique édifice qui la précède. A la fin donc – presque incidemment, genre ça irait quasiment sans dire mais bon je vous le dis quand même – on arrive au prix à payer. Naturellement, vous comprenez, pour que la relation sexuelle d’amour soit comme une icône du Dieu trine, il faut que sa dimension de fécondité soit pleinement présente. Sinon elle ne revêt pas sa pleine signification, comme un signe qui n’est plus signifiant. Car la fécondité potentielle est dans la nature de l’acte, comme elle est dans la nature de Dieu. Donc, la contraception c’est niet. Bon, bien enrobé… mais niet. Sauf les dites méthodes naturelles ; et encore ne faut-il pas qu’elles soient employées avec une mentalité contraceptive, que l’aléa subsiste...  

Et là arrive l’éloge – non pas l’éloge de l’angoisse d’avoir un enfant alors qu’on en a déjà plusieurs qui dorment à côté, enfin qui dorment ou qui pleurent, ou qui sont malades, ou qui… et qu’on ne veut pas, et qu’on ne peut pas en accueillir un nouveau, pas juste par égoïsme mais parce qu’on sent qu’on ne tiendrait pas le coup, qu’il vaut quand même mieux pour ceux qui dorment à côté, ou ne dorment déjà plus peut-être, qu’il vaut quand même mieux des parents pas trop accablés par les soucis de santé ou financiers ou les conflits, que cela vaut mieux pour tous ceux dont on a la charge, et nous-mêmes compris – non rien de tout cela ; mais l’éloge de la continence. On se doit d'être soit image de Dieu sous la couette (ou même sans couette, en fait la théologie du corps n'aborde pas directement la question de la couette), soit continents. Peut-être aussi peut-on juste ne pas avoir envie ; je ne suis pas certain, ce n’est pas explicitement dit, mais bon je suppose. Mais sur l’angoisse, rien [1]. Non. Juste que la continence finalement vous verrez c’est super, une vraie école de vie. 

Et là j’ai l’impression, un peu désagréable, qu’on essaie de me survendre le truc. Un peu comme… par exemple… un vendeur de cuisines aménagés. On arrive en pensant qu’il nous faut juste un plan de travail avec un évier encastré, et il essaie de nous vendre « la cuisine de vos rêves Monsieur Blumentern », toute aménagée, marbre blanc, bakélite, pierre de lave, électroménager dernier cri. Et puis au bout de deux heures de rêve, et bah c’est dix fois notre budget max. « Mais, écoutez bien Monsieur Blubterme, avec notre partenaire Cofitourloupe, elle est à vous pour seulement 15 euros, par jour. Et ce pendant seulement vingt-cinq toutes-petites années ! Et je vous le dit comme je le pense, Monsieur Blumenperm, économiser 15 euros chaque jour c’est aussi une chance : prioriser, poser des choix, une vraie école de vie ! » 

Bon, personnellement, je préfère quand on m’annonce la couleur tout de suite. Et la couleur, comme tu le dis, c’est le sacrifice. Le sacrifice de son désir, de sa convoitise. Là, j’aimerais peut-être ajouter un point à ton billet. Le sacrifice d’Abraham, c’est l’ancienne alliance. Et n’est-ce pas dans la bouche de Jean-Baptiste, son dernier représentant, que la question d’Isaac [2] trouve sa réponse définitive [3] ? Oui Dieu a bien su trouver l’agneau pour le sacrifice. C’est son Fils. L’impossible qui était demandé à Abraham, c’est Dieu lui-même qui l’accomplit. 



Alors nous ne sommes plus seuls. Nous ne sommes plus seuls dans les méandres de nos désirs. Nous ne sommes plus seuls à tenter de sacrifier notre convoitise. Nous ne sommes plus seuls à essayer de ne pas tomber. A lorgner furtivement la première marche de l’escalier. Tu sais, l’escalier du péché. Celui que l’on a tant de fois dévalé, emporté par son élan sans plus pouvoir s’arrêter, avant de s'écrouler sur le palier cassé et honteux d’avoir chu cette fois encore. Cette première marche dont on sait bien qu’elle nous entrainera inexorablement vers la seconde, et la seconde vers la troisième, et ainsi de suite jusqu’à ce que l’élan soit devenu irrésistible. Cette première marche si petite, celle qui ne fait de mal à personne se ment on si facilement, un petit plaisir, presque anodin... Non, nous ne sommes plus seuls. Nos convoitises, nous pouvons les lui confier. Mieux, les crucifier avec lui [4]. Participant à l’unique sacrifice du Christ grand-prêtre. 

Et là, la continence n’est plus une fâcheuse conséquence secondaire, mais le cœur du truc. Contraception ou pas, avec angoisse ou sans, la sexualité vécue chrétiennement ne peut être convoitise. Marié, célibataire, prêtre, gay... Même combat : crucifier sa convoitise. Et à chaque eucharistie, offrant à Dieu le pain et le vin de nos vies, lui offrant nos efforts et nos échecs, nous le recevons lui-même en nourriture pour la route. 

« Finalement, Monsieur Hygiena, je suis partant pour les 15 euros par jour. Bon, cela ne sera pas toujours quinze… souvent quelques piécettes, parfois nada hélas. Je les mettrai dans la corbeille chaque dimanche, à l’offertoire. 

Par contre la cuisine, je vous la laisse. C'est trop pour moi. » 

                                                     
[1] et sur comment le couple est image de Dieu ailleurs que sous la couette pas beaucoup non plus, hélas
[2] Isaac interrogea son père Abraham : « Mon père ! - Eh bien, mon fils ? » Isaac reprit : « Voilà le feu et le bois, mais où est l'agneau pour l'holocauste ? » Abraham répondit : « Dieu saura bien trouver l'agneau pour l'holocauste, mon fils », et ils s'en allaient tous les deux ensemble. Gn 22, 7-8 
[3] Comme Jean Baptiste voyait Jésus venir vers lui, il dit : « Voici l'Agneau de Dieu, qui enlève le péché du monde » Jn 1, 29
[4] Ceux qui sont au Christ Jésus ont crucifié en eux la chair, avec ses passions et ses tendances égoïstes. Ga 5, 24 L'homme ancien qui est en nous a été fixé à la croix avec lui pour que cet être de péché soit réduit à l'impuissance, et qu'ainsi nous ne soyons plus esclaves du péché. Rm 6, 6


lettre à ma Députée


Madame la Députée,


Electeur de votre circonscription, j’ai voté pour François Hollande non pas à cause mais en dépit de sa proposition n°31. Aujourd’hui, je reste opposé au projet de loi sur l’extension du mariage à deux personnes de même sexe, dit « mariage pour tous ».               

Cette opposition n’est pas motivée par une crainte phobique de l’homosexualité. L’amour et les relations de couple entre personnes de même sexe n’ont évidemment pas une dignité par nature différente de ceux entre un homme et une femme. Je sais que ce projet est porté par le PS et EE-LV au nom de l’égalité. Néanmoins, si l’égalité est une valeur cardinale de la gauche et de la République, déterminer son champ d’application est un choix politique. La promotion active et parfois impérative de la parité n’est ainsi pas perçue comme contraire au principe d’égalité. A l’heure où elle est remise en question dans la filiation et la procréation, la parité sera d'ailleurs bientôt la règle dans les conseils généraux avec le vote non plus pour un conseiller mais pour un binôme composé d’un homme et d’une femme[1].

De la part des associations de parents LGBT, cette revendication du mariage vise il me semble une meilleure prise en compte de problèmes concrets dans l’exercice de leur parentalité. Ces aspirations pourraient toutefois être réalisées par d’autres moyens (adoption simple, statut du beau-parent…) dans une optique universaliste, pour tous les enfants qui ne sont pas élevés par leurs deux parents. Le président du Tribunal pour enfants de Bobigny affirme ainsi[2] :

« La reconnaissance de l’homoparentalité pouvait se faire simplement. Les juges commencent d’ailleurs à construire la réponse en déléguant partiellement des attributs de l’autorité parentale au compagnon ou à la compagne. Une loi sur le statut des tiers aurait permis non seulement de répondre au problème du million d’enfants élevés par un beau–père ou une belle-mère, mais au passage par telle personne du même sexe qui partage la vie de son père ou de sa mère. Au lieu de cela on ouvre la boite de pandore de la filiation sans savoir où l’on va s’arrêter. On renvoie à un débat parlementaire de quelques jours pour trancher une question sociétale majeure. »

Dans ce cadre, je souhaite attirer votre attention sur certaines conséquences à moyen-terme de cette réforme de civilisation, selon les mots de Madame Christiane Taubira. Le mariage est en effet indissociable de l’engendrement, même s’il ne s’y résume pas. Le projet de loi EE-LV portant sur l’ouverture du mariage aux personnes du même sexe, déposé au Sénat fin août, aborde ainsi fort logiquement à la fois le mariage et la procréation :

« Actuellement les couples de femmes n’ont pas accès à la Procréation Médicalement Assistée (PMA), réservée aux couples souffrant d’infertilité pathologique ou risquant la transmission d’une maladie d’une particulière gravité. Le présent texte propose donc d’y remédier en leur offrant désormais cette possibilité comme c’est le cas pour les couples hétérosexuels. La Gestation pour Autrui (GPA) n’est pas non plus légale en France. Les associations LGBT demandent que ce mode d’accès à la parentalité soit ouvert aux célibataires et aux couples du même sexe et de sexe opposé, sans que le type d’union soit pris en considération. Cette requête, appelant à une réflexion plus vaste, devrait également être considérée lors de futurs états généraux sur la famille en vue de la réforme du code civil. »

Au-delà du « mariage pour tous » se profile ainsi la procréation homosexuelle, de laquelle il constitue comme un préalable. Dans ce contexte, la PMA ne sera plus un remède à une infertilité médicale, mais un nouveau mode d’engendrement. Et pas uniquement pour les couples homosexuels. Si le critère de différence sexuelle tombe, comment fonder par exemple le maintien d’autres critères comme l’âge des parents (« en âge de procréer ») ou leur infertilité ? C’est également ce genre d’avenir « radieux » que nous annonce Monsieur Jacques Attali dans une récente tribune intitulée Vers l’humanité unisexe [3]. Et si demain, dans dix ans, cinq peut-être, des entreprises de biotechnologie proposent de remplacer le matériel génétique d’un spermatozoïde par celui issu d’un ovule et réciproquement[4], permettant ainsi une procréation homosexuelle sans donneur ? Quelles seront les ressources éthiques pour contrer ces manipulations technoscientifiques dès lors que le mariage et la procréation homosexuelle auront été institués en droits ?

Devant la perspective d’une telle dérive technicienne et marchande de la procréation, des personnes dont l’engagement écologique est incontestable expriment le même refus que le mien. Ainsi Jacques Testart, un des scientifiques ayant réalisé le premier bébé éprouvette français et engagé politiquement auprès de José Bové, ne cesse de mettre en garde sur les excès de la PMA et le risque d’eugénisme associé [5]. Des journalistes ‘verts’ comme Hervé Kempf [6] ou Fabrice Nicolino[7] ont également pris vigoureusement position :

« L’écologie telle que je la comprends est une révolution de l’esprit. Elle contredit l’hyper-individualisme qui est au fondement de notre société industrielle. L’individu aurait tous les droits. Celui de changer de machine toutes les vingt secondes, celui de tuer un cerf s’il en a le goût, celui de prendre l’avion plus souvent qu’il n’embrasse son fils, celui d’enfanter à 98 ans, celui de se voir greffer un deuxième cerveau et une huitième main, etc. L’écologie telle que je la pense est la découverte des limites. Y compris celles du désir. Y compris celles de sa satisfaction. »

Ne serait-il pas contradictoire que l’écologie politique ouvre la voie, avec le PS, à de futures manipulations du vivant [8] ? Estimez-vous, comme Monsieur Jean-Pierre Michel [9], que la science et le marché doivent avoir le dernier mot et qu’il faille « faire évoluer la société petit à petit, au fur et à mesure qu’évolue la science » ? Certes pour des raisons généreuses, mais les raisons s’effacent vite devant les conséquences….

Pourquoi ce projet de loi suscite-t-il tant de réactions en France, plus que dans d’autres pays ? La religion n’est pas un facteur explicatif, vu la prégnance de la laïcité, de la sécularisation et de la liberté de conscience des croyants français[10]. Peut-être qu’à la différence d’un pragmatisme plus anglo-saxon, les français aiment se projeter dans une vision universaliste, dépassant leurs intérêts propres. C’est le cas pour ceux qui soutiennent ce projet de loi, au nom de l’égalité. C’est également le cas pour ceux qui le contestent, au nom du refus de l’extension de la société de consommation à la procréation, d’une nouvelle soumission de la nature aux désirs humains.               

En vous remerciant de votre attention, et en espérant vous avoir persuadée qu’une opposition non homophobe mais écologique à ce projet était possible – et même nécessaire :), je vous prie d’agréer, Madame la Députée, l’assurance de mes respectueuses salutations.


[1] http://www.lemonde.fr/politique/article/2012/11/30/la-parite-hommes-femmes-promise-dans-les-departements_1798662_823448.html
[4] voir par exemple le blog d’un entrepreneur en génétique et biotechnologies :
http://www.chromosomechronicles.com/2009/07/29/sexual-reproduction-for-same-sex-couples/
[5] sous la pression conjointe des médecins et des parents, les embryons seront de plus en plus triés en fonction de leurs caractéristiques génétiques, avec en conséquence à moyen-terme une moindre tolérance sociale envers les personnes nées différentes, voir notamment http://jacques.testart.free.fr/index.php?post/texte716
[8] qu’elle dénonce pourtant justement dans d’autres cas tels les OGM.
[9] Rapporteur au Sénat du projet de loi, et favorable à la gestation pour autrui pour tous les couples http://www.publicsenat.fr/lcp/politique/jean-pierre-michel-ps-je-suis-gpa-tous-couples-342784
[10] mis à part peut-être quelques groupes marginaux tels Civitas, plus folkloriques que véritablement catholiques.

la miséricorde pour tous







    Un jour, la bataille sera terminée.


Des deux cotés des catholiques y participent, non pas en tant qu'Eglise mais comme citoyens. Non pas au nom de leur foi, mais de convictions humaines. Et par des moyens politiques, en tentant d'occuper l'espace, avec des alliés de circonstance, parfois des arguments à l'emporte-pièce. 

Ceux qui sont contre ont pris le risque de l'action pour ébranler le conformisme de façade, faire émerger un clivage. Et in fine, rendre service au pluralisme, à la démocratie. Qu'on l'approuve ou la conteste, ne serait-ce pas un manque de vitalité démocratique si une telle "réforme de civilisation" (C. Taubira) passait comme une lettre à la poste, sans autre débat qu'un procès en homophobie des quelques voix divergentes ? Merci à nos évêques qui ont courageusement ouvert la voie à ce conflit civique, qui les dépasse largement.

Ceux qui sont pour donnent aussi de la voix et heureusement : les catholiques ne sont pas un bloc monolithique, nos convictions sur ces sujets sont une subtile alchimie entre foi, religion, politique, expérience,  sagesse...

Mais quand cette bataille sera terminée, restera la mission propre de l'Eglise. Restera la responsabilité des âmes, restera l'appel vers la vie éternelle. Restera à écouter, pour pouvoir ensuite appeler avec justesse. Ecouter ceux qui se demandent quelle est dans notre Eglise la vocation des personnes qui se ressentent homosexuelles. 

Ecouter par exemple cette interpellation : 

"lorsque le sujet de l'homosexualité est abordé par des représentant de l'Eglise c'est extrêmement majoritairement pour être CONTRE quelque chose. Contre le pacs, contre mariage, contre l'homoparentalité, contre les relations sexuelles. Que ces interpellations soient légitimes ou pas on peut se demander où sont les prises de parole positives... Pour l’accueil, pour l'accompagnement, pour le vivre ensemble, pour la protection de ceux qui souffrent..."

à la table du bon Dieu


Dieu est-il bon cuisinier ? La question semble saugrenue. Et pourtant. On l’a bien déjà traité de grand horloger ou de grand architecte ; alors grand chef, pourquoi pas ?

Voyons voir... Il connaît le terroir de chaque homme et sait le sublimer comme personne : un petit grain de foi par ici, un zeste de crainte par là, une dose de persévérance, deux pincées de vertu, trois bonnes louches d’abandon, un grand paquet de charité… Oui, Dieu n’est pas moins cuisinier que réparateur de montres ou concepteur d'édifices.

Et même plus ! Il nous mitonne un festin de viandes grasses et de vins capiteux, de viandes succulentes et de vins décantés[1]. Sa seule difficulté, ce sont peut-être les quantités. Douze paniers pleins de restes[2], six cent litres de bon vin[3], des poissons à ne plus savoir qu’en faire[4]… Il cuisine toujours en surabondance.

Mais attention, avec lui, pas question de venir les mains dans les poches pour s’en mettre derrière la cravate. Chez Dieu, c’est un peu l’auberge espagnole ; la maison fait crédit à qui veut mais les invités doivent y mettre du leur. Ils sont attendus à la même table, le cœur réconcilié et habillés de fête[5] pour lui offrir tous les ingrédients qui font leurs vies afin qu’il les transfigure, par une cuisine issue d’une longue tradition, mais qui reste toujours nouvelle, simple et audacieuse.

Bon, ce festin, c’est surtout pour la vie éternelle, mais chacun peut dès maintenant en sentir la bonne odeur dans sa vie. Et même en déguster les prémices à chaque eucharistie, lorsque offrant à Dieu le pain et le vin de nos vies, nous le recevons lui-même en retour. Oui vraiment, Dieu est bon cuisinier, et même le cuisinier suprême. Non content de nous nourrir, il se donne lui-même en nourriture. Goûtez et voyez comme est bon le Seigneur[6] !



[1] cf. Is 25, 6
[2] cf. Mt 14, 20
[3] cf. Jn 2, 6
[4] cf. Lc 5, 6
[5] cf. Mt 22, 12
[6] cf. Ps 33, 9